sábado, 26 de mayo de 2012

Quand l’opposition au monopole capitaliste devient "délit de rébellion" : Les prisonniers politiques en Colombie entre torture et invisibilisation

Quand l’opposition au monopole capitaliste devient "délit de rébellion" : Les prisonniers politiques en Colombie entre torture et invisibilisation 

Par Azalea Robles, traduction Pascale Cognet

En Colombie, des milliers d’hommes et de femmes sont condamnés pour « délit de rébellion » -inscrit dans le  code pénal - et  aussi condamnés en vertu de son extension  plus arbitraire, le crime  de « terrorisme » [1], une catégorie qui englobe tout ce qui peut gêner l’État colombien et le grand capital d’un pays spolié qui tente d’étouffer le mécontentement social par l’extermination et l’incarcération.

Sur les 9500 prisonniers politiques  de  l’État colombien, on estime que près de 90%  sont des civils incarcérés  à cause de leur  activité politique, leur pensée critique et leur opposition  aux politiques  de destruction  de l’environnement : syndicalistes, défenseurs de l’environnement, enseignants,  dirigeants paysans, universitaires critiques, avocats, médecins, défenseurs des droits humains…même les artistes font l’objet de persécutions politiques. Les montages judiciaires avec des témoins payés et des preuves falsifiées  sorties « d’ordinateurs magiques » , sont manigancés de façon systématique contre les victimes de persécutions : les agissements illégaux de l’establishment  militaire et de ses témoins  préparés dans les bureaux de l’armée [2] sont  avalisés par l’appareil judiciaire de façon scandaleuse tout   en s’articulant avec des lois criminalisant la protestation : l’appareil judiciaire est utilisé comme arme de guerre contre la population, afin de démanteler l’organisation sociale et empêcher toute pensée critique.

Par ailleurs, tout le monde sait qu’en Colombie un conflit social, politique et armé fait rage et que,  dans ce cadre, les insurgés capturés par l’État sont des prisonniers politiques de guerre, parce que leurs revendications sont éminemment politiques et parce qu’il y a une guerre. Mais l’État colombien essaie de cacher le soleil avec un doigt.  

L’existence de milliers de prisonniers politiques est la preuve tangible de la réalité d’une guerre répressive déclenchée par l’État colombien contre la revendication sociale ; par conséquent l’exigence de liberté pour les prisonniers politiques est la colonne vertébrale  de la construction d’une véritable paix  avec justice sociale.


En Colombie, l’expression du capitalisme est à son paroxysme : la terreur  corrélative au pillage des ressources au bénéfice du grand capital s’applique de la façon la plus dure  contre la population, avec pour objectif le déplacement d’un nombre  énorme  de personnes des zones convoitées et l’élimination  des revendications. On compte plus de 5,4 millions de personnes spoliées de leurs biens et déplacées de leurs terres. Les multinationales et les latifundiaires  accaparent les terres volées et légalisent actuellement les titres de propriété sur la base  d’artifices astucieux  favorisés par la loi de Santos  relative à la terre qui  légalise les spoliations,  comme le dénoncent  si  bien  les communautés. Au moment où  le capitalisme mondial approfondit  à l’extrême les contradictions  entre l’accumulation  capitaliste et la survie de l’espèce, les stratégies répressives menées en Colombie sont également destinées à être appliquées dans la région, ce qui donne une raison supplémentaire-en dehors des raisons éthiques- pour  se solidariser avec le peuple colombien.

TORTURES : l’assassinat de proches comme forme de torture*

Il y a beaucoup à dénoncer sur  les tortures. Les aberrations  commises contre les prisonniers politiques se surpassent dans l’horreur  et sont perpétrées sous couvert d’ostracisme et d’invisibilisation* : c’est pour cela que la solidarité avec les prisonniers  politiques doit être envisagée comme une priorité sociale. Il y a des prisonniers qui passent  des années reclus dans des cachots [3],  avec  passages à tabac, humiliations, tortures physiques et psychologiques ; certains prisonniers sont conduits à la mort parce qu’on leur refuse l’assistance médicale [4], il y a des prisonniers aveugles et sans bras, amputés, des malades en phase terminale qui subissent une torture permanente parce qu’on leur refuse même les traitements contre la douleur et qu’on les enferme dans des blocs bourrés de paramilitaires alors qu’ils sont totalement  sans défense. Le cas du prisonnier politique Oscar Elias Tordecilla est particulièrement révélateur, il a les deux bras amputés, en plus d’être devenu aveugle faute d’assistance médicale indispensable, il a été emprisonné dans un état limite, placé intentionnellement  dans un centre pénitencier  sans prisonniers politiques, dans un pavillon rempli de paramilitaires  en violation de la règlementation de la médecine légale et du droit humanitaire  international[5]. Il y a aussi plusieurs  prisonniers politiques et de guerre qui ont vécu l’assassinat de leurs proches parce qu’ils ont  refusé de jouer le rôle de faux « témoins » pour la police  dans des montages judiciaires contre des leaders paysans, syndicalistes et militants d’organisations sociales. Le cas du prisonnier politique Carlos Iván Orjuela illustre ce drame.  Carlos Iván  a  subi des pressions de la part de la section de la police judiciaire et d’enquête (SIJIN) pour qu’il témoigne contre des leaders paysans du Magdalena Medio (département colombien). Devant son refus de collaborer à des montages judiciaires, la police a fait disparaître et assassiner son frère cadet, puis avec un montage judiciaire a emprisonné une  proche  qui s’occupait de son fils tout en menaçant d’assassiner aussi l’enfant  de six ans. Le Comité de Solidarité avec les Prisonniers Politiques dénonce :
« il a été mis sous pression pour collaborer, sinon il le paierait cher’(…) l’agent de la SIJIN Juan Carlos  Torres a proféré des menaces de montages judiciaires à l’encontre de sa famille et a menacé directement son fils  en disant  que « bientôt la nuit allait tomber mais le jour n’allait plus se lever» pour lui. Il lui donna un délai pour qu’il devienne un  des si nombreux témoins à solde qui grouillent dans le système judiciaire colombien ».[6] Aux  menaces ont succédé des crimes plus graves: «  la disparition forcée et l’homicide du frère cadet du prisonnier politique (..) La capture  de María Yolanda Cañón, proche chargée de s’occuper de son fils. Le prisonnier politique a entrepris d’appeler sur le portable de María Yolanda, mais ce fut l’agent de la SIJIN Celis Torres qui répondit, en se moquant de lui et en le prévenant que s’il persistait à refuser de collaborer  ils continueraient (…),  textuellement :’je vous ai dit de collaborer et vous n’avez pas voulu collaborer et alors le parquet avait déjà  un petit paquet ([un dossier monté de toutes pièces, NdT] et c’est moi qui ai eu la tâche de la capturer et d’ailleurs j’ai en réserve d’autres  petits paquets» Le CSPP ( Comité de solidarité avec lesprisonniers politiquesdénonce les « agissements illégaux et vengeurs des membres de la police judiciaire pour obtenir des « résultats » au mépris  des droits humains  et du droit humanitaire  international. Pratiques s’inscrivant dans une politique qui a eu pour résultat  les exécutions extrajudiciaires connues sous le nom de «faux positifs» et la judiciarisation massive d’une  population  civile innocente, arrêtée au cours des fameuses «rafles massives»..



NOTES:
Ce texte bref est une modeste contribution –à la demande des lecteurs- sur la thématique des prisonniers politiques en Colombie ; je recommande aux lecteurs de lire mon enquête sur ce thème, qui est en 5 parties, dont 4 ont déjà été publiées à la date du 16 mai 2012. La cinquième partie est une enquête plus approfondie sur la torture dans les prisons colombiennes et sera publiée  en juin 2012. Une traduction française de ce dossier est en cours.

Les parties déjà publiées au 20 mai 2012 de ce dossier sont (disponibles en español et prochaînement disponibles en français) :

Dossier : La Colombie et ses milliers de prisonniers politiques réduits au silence

           



V-    A paraître, enquête approfondie sur la torture dans les prisons colombiennes     
   
[1] Des milliers d’hommes de femmes condamnés pour « délit de rébellion » : »(…) Existence du délit politique qui est reconnu également par la législation pénale colombienne, la Constitution Nationale et les traités internationaux ratifiés par l’État colombien. Nous ne comprenons pas comment les représentants de l’établissement prétendent ignorer la réalité que  vit le pays, et la législation nationale et internationale qu’ils disent défendre. »http://www.traspaslosmuros.net/node/748
Rapport Perspective en point de fuite : « La stratégie utilisée contre les prisonniers politiques consiste à les juger pour rébellion et à y ajouter les charges de terrorisme, narcotrafic  et association criminelle à buts terroristes dans l’objectif clair de leur enlever le statut politique, y compris en facilitant leur extradition. »http://issuu.com/traspasalosmuros/docs/traspasalosmuros
(2)L’avocat défenseur du journaliste Joaquín  Pérez Becerra  lance un appel à la solidarité, à quelques jours du procès politique.
« Les informateurs payés par l’État sont  instruits dans les bureaux du renseignement militaire » http://www.rebelion.org/noticia.php?id144172
(3) « Il est de notoriété publique que nous  les prisonniers politiques et de guerre, et en général  la population carcérale, qui s’élève à plus de 130.000 personnes, nous vivons dans des conditions  infrahumaines et on bafoue constamment nos droits humains, les procès auxquels nous avons droit, le droit à la santé, la dignité humaine, etc…Quasi systématiquement, nous sommes confinés dans des centres de réclusions éloignés de nos familles, on nous isole dans des blocs punitifs, on nous condamne à une vie de torture et dans la pratique on nous impose des chaînes permanentes, comme c’est le cas pour le camarade Jorge Augusto BERNAL, membres des FARC-EP, fait prisonnier par l’État il y a 17 ans, il est resté  au cachot pendant  8 années, dont  4  dans la prison de La Tramacúa de Valledupar, sans eau, avec  des températures de 40 °, sans accès aux soins médicaux(…) C’est un  cas parmi tant d’autres  prisonniers politiques qui ont été condamnés à de véritables  perpétuités avec des peines allant de 40 à  6O années  et plus. On  voit aussi des cas de torture, comme c’est  le cas du camarade Diomedes  Meneses CARVAJALINO, en chaise roulante, paraplégique suite aux tortures, et qui, même s’il remplissait  les conditions exigées  pour la remise en liberté conditionnelle, se l’est vu refuser  illégalement(…) Face à l’isolement et aux punitions, et après des processus de déroutement moral, on nous incite à nous démobiliser et à renier nos principes et notre organisation, comme c’est le cas pour  le camarade Bernardo Mosquera  MACHADO , emprisonné dans un cachot, avec des  problèmes respiratoires et cardiaques, âgé de 67 ans, et face à ses problèmes l’unique réponse donnée par l’INPEC (Instituto Nacional  Penitenciario y Carcelario :Institut National Pénitentiaire et Carcéral) et le gouvernement a été une visite au cours de laquelle des délégués du gouvernement l’ont encouragé à se démobiliser et à trahir sa cause, en échange de quelques bénéfices juridiques.(…)C’est  sur ces cas parmi tant d’autres que les autorités responsables de la protection des droits humains et les organisations de la communauté nationale et internationale doivent  mener  des investigations. » http://www.traspasalosmuros.net/node/748
[4] Prisons dans lesquelles décèdent à une fréquence scandaleuse les prisonniers  politiques et de guerre. Mars 2012 : Des prisonniers politiques à qui on a diagnostiqué un cancer ne reçoivent toujours pas de soins médicaux : http://www.comitedesolidaridad.com/index.php?option=com_content&view=article&id=681:fcspp&catid=32:acciones-urgentes&Itemid=68
Témoignage de la fille d’Arcesio Lemus, prisonnier politique assassiné par l’Etat en 2010 ; Les prisonniers politiques sont  torturés et  de fait condamnés à mort, par refus d’assistance médicale. http://www. rebelion .org/noticia.php ?id=145983
Janvier 2012 : « Les cas d’assassinats de prisonniers  politiques sont en augmentation »http://rebelion.org/noticia.php ?id=143800
« La peine de mort n’a pas été adoptée pour que l’INPEC nous l’applique aussi lentement et de façon si douloureuse » Un autre prisonnier décède dans une prison colombienne par refus d’assistance médicale, janvier 2012 :http://www.rebelion.org/noticia.php ?id=142756
Avril 2011 : Des prisonniers politiques  décèdent  par refus d’assistance médicale :http://www.rebelion.org/noticia.php ?id=127100
Vidéo témoignage de torture, Diomedes Meneses : http://blip.tv/cocalo/diomedes-3393961
[5]  Le prisonnier politique, Oscar Elías Tordecilla, amputés des deux bras, en plus devenu aveugle  par refus d’assistance médicale nécessaire, et emprisonné dans une situation extrême, placé intentionnellement dans un centre pénitencier sans prisonniers politiques, avec des paramilitaires, en violation de la réglementation de la Médecine légale et du DIH. Bien qu’un juge ait demandé  l’assignation à résidence, le prisonnier politique Oscar Elias Tordecilla non voyant et amputés des deux bras, est toujours emprisonné dans une situation extrême. http://www.rebelion.org/noticia.php?id=105346
[6] Les crimes d’État contre les proches sont utilisés comme moyen de torture et de chantage contre les prisonniers politiques, si les prisonniers n’acceptent pas de devenir des informateurs, ou pour passer sous silence les dénonciations. On assassine le frère aîné du prisonnier politique Carlos Iván Peña Orjuela  et la police menace son fils âgé de 6 ans.http://www.rebelion.org/noticia.php ?id=102342
« L’agent  de la SIJIN Juan Carlos Celis Torres a proféré des menaces de montages judiciaires contre sa famille et a menacé directement son fils(…)  Il lui a donné un délai pour devenir un témoin à solde parmi tant d’autres de ceux qui grouillent dans le système judiciaire colombien » Après les menaces : « la disparition forcée et l’homicide du frère cadet du détenu politique(…) la capture de María Yolanda Cañón, proche en charge de son fils ».
L’enfant Alida Teresa, fille de prisonnier politique, violée et assassinée par des paramilitaires, en toute impunité en 2012
http://www.kaosenlared.net/noticia/desaparicion-familiares-tortura-contra-presos-politicos-alto-estado-ge En liberté, cinq paysans de Santander et la  parente de Carlos Iván Peña Orjuela, Yolanda  Cañón, victimes de montage judiciaire : ils ont passé 7 mois en prison avec des faux témoins, les uns pour leur activité dans l’organisation paysanne, et Yolanda Cañón  comme moyen de représailles contre le prisonnier politique Peña Orjuela à cause de son refus de jouer le rôle de faux témoin dans les montages judiciaires de la police SIJIN.http://www.sinaltrainal.org/index.php?option=com_content&task=view&id=1969&Itemid=48
Octobre 2011 les prisonniers politiques de Palogordo en grève de la faim  ont exigé l’assistance médicale pour le prisonnier politique Peña Orjuela http://www.sinaltrainal.org/index.php?option=com_content&task=view&id=1969&Itemid=48

Traduit par Pascale Cognet, La Pluma et Tlaxcala